L’apiculture à la pointe d’une agriculture bien pensée
Cet article a été écrit par Yves ROBERT, apiculteur, arboriculteur et formateur en agroécologie, membre du réseau Un toit pour les abeilles.
Moindre diversité et qualité nutritionnelle
Il y a une réalité assez déconcertante que les paléontologues et archéologues ont mise à jour : quand l’homo sapiens est passé du régime chasseur-cueilleur à celui d’agriculteur, sa santé en a largement pâtit.
Il y a un fait objectif : la taille moyenne de l’homo sapiens a diminué brusquement chez toutes les peuplades, à tous les endroits du monde, lors de ce changement de régime de vie(*). Et, des pathologies nouvelles sont apparues.
Pourtant ce changement de régime de vie a été tout de même global et irréversible.
Même si nous disposons, dans certaines zones géographiques du globe, grâce à l’agriculture, d’une grande diversité de nourriture (ce qui n’était pas le cas au tout début de l’agriculture), il est utile de nous demander en quoi les produits de l’agriculture et leur transformation satisfassent nos besoins nutritionnels ?
Car cela ne va pas de soi.
En effet, l’histoire de nos lointains ancêtres prouve bien qu’il y a d’autres enjeux que celui du nutritionnel pour gouverner le développement de l’économie agricole.
Les produits de la nature
Il n’y a aucun produit naturel qui puisse se conserver dans son état naturel, à l’exception du miel. C’est ce qui a fait son succès dans toutes les grandes civilisations.
D’une part, le miel contient une teneur en eau suffisamment faible pour se conserver sur une longue durée. D’autre part, il contient des agents naturels anti fongiques et anti bactériens.
Cette exception, ce miracle, nous le devons aux abeilles, qui produisent elles-mêmes leur propre nourriture par transformation enzymatique du nectar des fleurs, qui est déjà un produit très rare, qui serait né de la symbiose entre pollinisateurs et plantes à fleurs.
Les pollinisateurs facilitant la fécondation des fleurs ; les plantes ont développé un moyen de les attirer.
Nous sous-estimons grandement, aujourd’hui, la valeur des produits de la nature, face à la démesure de notre technologie dans le domaine de l’agro-alimentaire.
Produits frais ou produits transformés
Si le miel peut être considéré comme « frais » sur une assez longue durée de conservation, il est l’exception en matière de produits agricoles. Toutes les denrées naturelles fraîches sont soumises au dépérissement assez rapide, si elles ne sont pas transformées ; certaines exigeant un suivi sanitaire particulièrement vigilant.
Nous sommes donc face à l’alternative de les consommer frais ou de les transformer. Alors se pose deux problèmes : celui de disposer d’un indicateur d’état de fraîcheur des produits ; et, l’autre ne pas altérer trop la qualité des produits lors de leur transformation.
Pour les miels, il existe un indicateur de leur état de « fraîcheur » : c’est le taux de HMF. Il évolue avec la dégradation des sucres dans le temps. Il peut être aussi considéré comme un bon indicateur de la dégradation concomitante des produits actifs que contient le miel.
Les facteurs qui influencent l’évolution du taux de HMF sont connus. Il s’agit particulièrement des changements de températures trop répétés ou trop élevés ; et, bien sûr du temps. C’est ainsi que des miels enfermés dans des amphores romaines étanches échouées au fond de la mer se sont « conservés » mais sont impropres à la consommation.
Indisponibilité des produits frais
Du fait de la désertification vertigineuse des campagnes, il n’y a plus, aujourd’hui, qu’un actif sur trente qui soit agriculteur, c’est-à-dire, producteur de denrées alimentaires. Alors qu’ils étaient encore un sur trois à la fin des années cinquante, comme me l’a rappelé dernièrement un ami apiculteur, Jérôme ALPHONSE.
Cette raréfaction entraîne inéluctablement celle de la disponibilité des denrées fraîches. L’effet est encore accentué par intensification de l’urbanisation qui éloigne et disperse d’autant plus les lieux de production agricole. Ni la venue des néo-ruraux, pourtant si cruciale dans la prise de conscience par le grand public ni l’engouement pour les circuits courts ne sont la réponse suffisante à cet état de fait : il n’y a plus assez d’agriculteurs.
Concernant l’apiculture, c’est la seule production agricole, avec le jardinage, qui a conservé un savoir-faire populaire. Il y a cent fois plus de tous petits producteurs que de professionnels. Aussi, vous ne pouvez pas faire vingt kilomètres dans certaines zones encore rurales, sans rencontrer un panneau « Vente de miel chez le producteur ».
Indigence nutritive des produits transformés
A la deuxième question : que reste-t-il d’éléments nutritifs suite à la transformation, majoritairement industrielle des denrées alimentaires ? La réponse est malheureusement, dans trop de cas : pas grand-chose…
C’est une des raisons pour lesquelles il n’est publié aucun indicateur à ce sujet en direction des consommateurs.
Le consommateur n’a retenu, trop souvent que cette simple (et très fausse idée) qu’un fruit qui a une bonne tête est un fruit qui est bon à manger ( ?!)
Une autre amie, Delphine ROUSSEAU, qui travaille dans l’arboriculture et l’agroforesterie, m’a montré des fruits réputés périssables qu’elle avait acheté dans la grande distribution ; et, qu’elle a laissé en observation pendant une longue période de temps.
Il était hors de question pour elle de les consommer, car ils étaient restés intacts.
Ils étaient, soit bourrés de conservateurs ; soit ils avaient subi un traitement de conservation draconien qui ne peut guère laisser subsister d’éléments nutritifs.
Ces fruits n’avaient plus d’âge, ni plus d’intérêt alimentaire.
Faut-il prouver pour convaincre ?
Aujourd’hui, les produits de la ruche connaissent un regain d’intérêt. Il a fallu, pour cela, que des laboratoires analysent les composants, au demeurant extrêmement complexes et diverses, contenus dans le miel, le pollen et la propolis pour que leur popularité soit réhabilitée.
Cinq millénaires d’usage dans l’alimentation, la cosmétique et même la médecine traditionnelle n’arrivaient plus à nous convaincre de leurs bienfaits…
Aujourd’hui est crucial de proposer et poser des actions en faveur d’une agriculture bien pensée. En montrant par l’épreuve des faits (qui sont d’ailleurs mesurables scientifiquement, mais pas seulement…), qu’il est primordial de redéployer une agriculture de savoir-faire et de proximité.
L’esprit du cueilleur-chasseur n’est pas périmé
Les cueilleur-chasseurs, nos ancêtres dont nous avons hérité la plus grande part de notre code génétique, avaient manifestement cultivé l’intelligence de leur approvisionnement alimentaire. Cet aspect est toujours aussi crucial de nos jours. Ne perdons pas cet état d’esprit salutaire !
L’un des aspects spécifiques (Il y en a bien d’autres…) de l’élevage des abeilles est qu’il conduit à coopérer avec des animaux que l’on dit « domestiques », alors que l’on a domestiqué seulement leur habitat.
En fait, les abeilles restent, malgré tout, des insectes « sauvages », qui peuvent, certes, tolérer (d’autres diraient : apprécier) la présence humaine, que sous certaines conditions. Comme tout animal sauvage.
Philosophiquement parlant, le développement assez complexe et compliqué de l’agriculture dominé par des enjeux sociaux, économiques et politiques, parfois contestables, a introduit un biais dans la compréhension d’un rapport « sain » avec la nature.
Pour faire simple, l’homme n’a pas du tout intérêt à dominer la nature, mais plutôt à continuer à en faire sa précieuse et indispensable alliée.
Yves ROBERT www.culturenature71.com
(*) « Il y a 40 000 ans, au Paléolithique, les hommes de Cro-Magnon mesuraient 183 cm en moyenne c’est-à-dire beaucoup plus que notre taille moyenne actuelle.
Il y a 10 000 ans, au Néolithique, notre espèce était plus petite (soit 162,5 cm en moyenne). Changement climatique mondial, nouveau régime alimentaire et ses corollaires (malnutrition…) sont probablement à l’origine de ce rapetissement. »
http://www.hominides.com/html/dossiers/evolution-homo-sapiens.php
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