Quand les abeilles sont un repère pour les dérives de notre civilisation
Cet article a été écrit par Yves ROBERT, apiculteur, arboriculteur et formateur en agroécologie, membre du réseau Un toit pour les abeilles.
Une vieille sagesse :
Comment les abeilles, « vieilles » de quelques millions d’années, pourraient-elles témoigner des difficultés d’une civilisation aussi « moderne » que la nôtre ?
Le constat est abrupte en effet : ce sont dans les zones géographiques où la modernité a le moins progressé que les abeilles se portent le mieux.
En France, ce sont dans les zones les plus à l’écart des activités humaines que l’activité apicole est encore un peu sereine.
Dans le reste du monde, c’est aussi dans les pays les plus à la traîne de l’économie mondiale, que l’élevage des abeilles est resté le plus prometteur.
A ce titre, l’exemple de Cuba est remarquable.
Coupée de l’approvisionnement en pesticides par la chute du régime communiste en Union Soviétique et le maintien du blocus commercial américain, son agriculture a réappris à faire sans pesticide.
L’agriculture cubaine est la preuve contemporaine que c’est non seulement possible, mais très bénéfique.
L’élevage des abeilles y est d’une prospérité aujourd’hui insolente.
Cette prospérité était celle de l’apiculture française, dans les années 60, avant les retombées implacables du développement massif des procédés agricoles industriels.
Évolution importante :
Cela voudrait-il dire que si les abeilles disposaient du droit de vote, elles voteraient massivement contre le « progrès » ?
Cette forme de progrès, certainement !
Pourtant les abeilles, elles-mêmes, ont opéré des évolutions considérables dans leur mode de vie.
A l’issue de la dernière ère glaciaire, ces insectes originaires des pays chauds, se sont lancés à la conquête de l’Occident.
Pour réussir, elles ont dû s’adapter aux rigueurs des climats continentaux, et pour cela être capable de constituer, chaque saison, en seulement trois mois, d’importantes réserves de miel en vue de l’hivernage.
L’espèce Apis mellifera mellifera est parvenue à progresser intelligemment.
L’espèce Homo sapiens sapiens, à laquelle j’appartiens y parviendra-t-elle ?
Quelle forme de progrès ?
Mais, finalement, est-ce si grave que les abeilles disparaissent ?
Il suffit de regarder ce qui se passe pour l’agriculture des pays développés.
L’exemple flagrant de la pollinisation manuelle des productions fruitières dans les zones ne disposant plus d’abeilles permet de réaliser que ce « progrès » nous précipite en pleine régression économique.
Un service gratuit rendu par la nature prend soudain les allures de facture exorbitante pour le plus indispensable des secteurs de production : l’alimentation.
Les abeilles sont des insectes discrets et modestes, mais pleinement engagés dans les processus du vivant.
En dispensant totalement gratuitement des bienfaits incommensurables, elles se sont bel et bien rendues indispensables !
Cependant, nous vivons au-dessus de nos moyens ; et l’équilibre « économique » de la biosphère dans laquelle nous vivons n’est plus assuré.
Marchandisation :
La marchandisation n’a plus de limites morales, aujourd’hui.
Aux USA, notamment, les colonies d’abeilles sont vendues pour polliniser des monocultures industrielles, où l’usage systématique des pesticides et l’absence de diversité alimentaire condamnent ces bataillons d’abeilles à mourir, plus ou moins rapidement.
Cette violence exercée sur d’autres êtres vivants, est l’initiative d’agents économiques, qui sont eux-mêmes soumis, sans relâche, à la pression perpétuelle de la croissance économique sans fin.
L’énoncé même de la situation en dévoile tout le pittoresque !
Un dieu improbable (celui du profit financier) a pour ambition d’assujettir tous les systèmes économiques, politiques et sociaux du monde entier.
Un « dieu » sinistre, totalement hostile au maintien de l’économie de la Nature dont notre vie dépend…
Dénoncer avec lucidité :
Sans doute, le défaut majeur de la marche actuelle du progrès technique, est d’être aveugle.
Ses applications, non évaluées, en deviennent hautement in-sécurisantes et ridiculement contre-productives.
De nos essais-erreurs pourrait-il sortir un vrai progrès ?
Il est assez mal vu de dénoncer avec lucidité les déficiences de notre civilisation moderne, alors même qu’elles se généralisent.
Les conséquences sont gigantesques et leurs imbrications tellement fortes, que nous osons à peine poser les yeux dessus.
Les stratégies perdantes de la « modernité », qu’une espèce compagne de la nôtre révèle, constitue, bel et bien, notre lot.
Si nous héritons des conséquences des erreurs de nos aîné(e)s et de celles et ceux qui imposent leur pouvoir arbitraire, n’héritons pas de l’état d’esprit de ces erreurs …
Tâchons d’être lucides et prévoyant(e)s !
Yves ROBERT www.culturenature71.com