Festival de Cannes 2014, «Les Merveilles»
«Les Merveilles», une ruche cinématographique d’Alice Rohrwacher par Siegfried Forster
Une abeille se balade sur la bouche d’une fille, fière de son exploit. Gelsomina est le chouchou de son père, l’Allemand Wolfgang qui s’est reconverti à l’apiculture pour vivre avec sa femme italienne et ses quatre filles une vie en liberté et loin de la modernité jugée « décadente ».
Le prix de cette liberté est une organisation contraignante pour prendre soin des ruches, retrouver les abeilles qui s’échappent régulièrement et accepter le fardeau de la fabrication du miel en mode artisanal. Chaque enfant a un rôle à jouer dans cette répartition du travail. Et oublier de changer le seau sous la centrifuge qui libère le miel équivaut à une punition sévère de la part d’un père psychorigide. Tant bien que mal, cet ancien révolutionnaire essaie de tenir à distance les menaces diverses et variées qui planent sur leur petit paradis. Il y a le manque d’argent, les chasseurs qui tirent sur tout ce qui bouge, mais aussi l’administration qui les oblige à respecter les très coûteuses mesures d’hygiène dans leur atelier de fabrication de miel.
Et puis, de plus en plus, les désirs des filles grandissantes se manifestent, échappant au contrôle parental. Elles n’adhèrent pas à l’utopie laborieuse de l’autarcie et de vie en communauté de leurs parents. Elles n’ont plus rien à faire avec le chameau acheté par le père, un cadeau venu trop tard pour réaliser leur rêve d’enfance devenu désuet. Les jeunes ont envie d’entrer dans la modernité et de participer à un jeu de téléréalité nomméVillage des merveilles, situé sur une île près de leur maison. Il suffit de prendre les apparences d’une famille étrusque authentique pour pouvoir espérer d’obtenir des gains faciles. Un jeu de rôle aussi absurde que lucratif. Pour le père, un signe infaillible que la fin du monde (de leur monde) est proche, même s’il reste tout ébahi devant la beauté de la fée du jeu télévisé, incarnée par Monica Bellucci.
La réalisatrice Alice Rohrwacher est issue d’une famille italo-allemande, mais affirme que rien dans le récit ne serait autobiographique. Ce qui n’empêche pas que sa sœur joue brillamment cette mère qui oscille entre les univers et souffre de cet écart entre l’idéal et la réalité, entre les différentes cultures dans sa propre famille. Après des mois de préparation pour apprendre aux acteurs les gestes pour manipuler de véritables ruches et de vrais essaims, Rohrwacher a réussi à faire naître cette utopie d’une vie alternative sans encombrer l’horizon. Une petite histoire qui mène à l’échec, mais enrichit notre l’imaginaire.
Source : www.rfi.fr/les-merveilles-ruche-cinematographique